Δευτέρα 1 Οκτωβρίου 2012

Un Evangile de l'enfance de Jésus: le Protévangile de Jacques


Un Evangile de l'enfance de Jésus: le Protévangile de Jacques



Summary

The Protevangelium Jacobi is one of the Gospels of the Infancy of Jesus. Initially it was accepted as a part of the original tradition of Christianity, later it was banned from the canon. The definitive redaction took place during the second century, but the original source of the content is clearly a rather mythomanic woman. One of the most amazing pericopes is the vision of Joseph, who experiences a standstill of time, while nothing moves.

Mythes chrétiens

---------------- Le Protévangile de Jacques et le rêve de Joseph. ----------------


Le Protévangile de Jacques est un document qui permet de situer Jésus dans un milieu "visionnaire" qui se rapporte à sa conception et sa naissance. Une opinion classique des philologues est de considérer l'Evangile de l'enfance comme une légende, dénuée de toute valeur historique. Il n'est pas exclu cependant que nous touchons par-là précisément à l'apport maternel à la psychologie de Jésus.
Le Protévangile de Jacques est un évangile apocryphe de l'enfance de Jésus. Du texte original grec il existe des traductions latines, syriaques, coptes, arméniennes, géorgiennes, arabes et éthiopiennes. On peut préciser comme terminus ante quem l'an 200 (vu les citations explicites du texte d'Origène (mort en 253/4) et implicites par Clément d'Alexandrie (mort vers 215).(1) Il s'agit donc certainement d'un texte très ancien, qui a exercé une influence considérable sur la théologie et sur la foi. Le fait que les rappels évangéliques dans le Protévangile sont d'une grande fidélité textuelle a été interprété comme une indication d'une dépendance nette du contenu du récit envers le texte des Evangiles. Cependant il n'est strictement démontré que le fait que la rédaction du Protévangile a tenu compte des textes déjà existants du Nouveau Testament et est relativement tardive: le terminus post quem de sa rédaction définitive se situe donc à première vue au début de la seconde moitié de IIe siècle et doit être localisée probablement en Egypte.
A. Harnack dans son grand ouvrage sur la chronologie de l'ancienne littérature chrétienne (2) conclut à l'existence antérieure de trois récits indépendants:
  • 1ø une nativité de Marie (I-XVII),
  • 2ø un Apocryphum Josephi de Nativitate Jesu et de Virginitate Mariae in partu et post partum (XVIII-XX),
  • 3ø un apocryphum Zachariae (XXII-XXIV) dont la source remonte certainement au IIe siècle.
Une des raisons importantes pourquoi on croyait distinguer ces trois documents est précisément le passage brusque de la troisième personne à la première quand l'auteur raconte la vision de Joseph.
Voici le texte:
XVIII, 1 -" Et il (Joseph) trouva là une grotte, l'y conduisit (Marie), mit près d'elle ses fils et partit chercher une sage-femme juive dans la région de Bethléem.
2. Or moi, Joseph, je me promenais et je ne promenais pas. Et je levai les yeux vers la voûte du ciel et je vis qu'elle était immobile et (je regardai) en l'air, et je vis que l'air était figé de saisissement et que les oiseaux du ciel ne bougeaient pas. Et je jetai les yeux sur la terre et je vis une terrine déposée (par terre) et des ouvriers couchés pour le repas, et leurs mains étaient dans la terrine. Et ceux qui mâchaient, ne mâchaient pas, et ceux qui portaient à la bouche n'(y) portaient pas, mais chez tous le visage était à regarder en haut.
3. Et je vis des moutons qu'on poussait (devant soi), et les moutons étaient immobiles; et le berger leva la main pour les frapper et sa main s'arrêta en l'air. Et je jetai les yeux sur le courant de la rivière et je vis des chevreaux et leurs museaux qui étaient tout contre l'eau et ne buvaient pas. Et subitement toutes choses étaient de nouveau emportées par leur cours."
Un tel texte a étonné les philologues: il est là comme un bloc erratique, étrange, au milieu d'un récit romancé. On le trouve bizarre, inattendu et cela depuis l'antiquité: preuve en est que le papyrus Bodmer, datant du troisième siècle, témoin le plus complet du Protévangile, omet tout simplement le passage au point de devenir inintelligible. Stylistiquement la vision fait irruption dans le texte, d'autant plus que c'est un passage descriptif: de telles descriptions ne se présentent plus dans le texte. Pourtant l'examen du style, de la langue, de la composition des trois documents dont serait composé le Protévangile, n'a révélé aucune différence notable entre ces trois parties. Ni la critique externe, ni la critique interne prêtent un fondement à la théorie des trois documents d' Harnack, qui doit donc être rejetée, d'autant plus que le changement de personne (il-je) est attesté comme un phénomène qui se trouve même dans les écrits très homogènes en langue hébraïque. Dans le livre d'Hénoch p.ex. on le trouve abondamment.(3) Ce changement de personne semble donc plutôt une preuve de l'authenticité hébraïque du récit qu'un signe d'hétérogénéité que les philologues ont cru y découvrir. Le changement de personne peut aussi être le signe symptomatique d'un affaiblissement de la conscience dans les états pathologiques.
En ce qui concerne le phénomène décrit dans le texte G. van den Bergh van Eysinga(4) rappelle le chapitre VII du poème pâli Lalita-Vistapa rapportant la naissance de Bouddha: " La lune, le soleil, les chars célestes, les planètes, la foule des étoiles restaient sans mouvement... Toutes les fleurs, entr'ouvrant leurs boutons, ne fleurissaient pas... Tous les vents apaisés ne soufflaient pas. Toutes les rivières et les ruisseaux arrêtés ne coulaient pas... Tous les travaux des hommes étaient interrompus... "De là à conclure que l'arrêt du temps à la naissance d'une personne divine sert à en souligner l'importance, il n'y a qu'un pas. Si on ne comprend pas le sens véritable du passage, c'est une affirmation gratuite. Le problème du bloc erratique de la vision de Joseph est donc resté entier.
Il est normal que les philologues, ainsi que le copiste antique, n'aient pas compris ce passage bizarre. C'est en effet seulement la psychologie moderne qui permet de juger de pareilles "visions".
Jaspers(5) énumère parmi les symptômes de la schizophrénie diverses perceptions maladives du temps : le sentiment du déjà vu, du jamais vu, le sentiment que le temps s'arrête, le sentiment que les mouvements perçus ne bougent pas. Dans les exemples cités par Jaspers les malades mentionnent explicitement le cours du temps: le temps s'arrête, tout s'arrête.
Hadewijch, la mystique flamande (13e siècle), décrit dans sa quatrième vision une expérience pareille : un ange paraît qui bat des ailes pour établir un arrêt universel : au premier coup la lune s'arrête, au deuxième coup le soleil, au troisième les astres, au quatrième les habitants du ciel paraissent, au cinquième le ciel de cristal s'arrête, au sixième tous les hommes, morts et vivants, paraissent, au septième les cieux s'ouvrent et le silence ce fait. Tout s'arrête, tous doivent être présents pour écouter le message de l'ange : c'est Hadewijch qui a été élue pour recevoir la révélation.(6) Tout l'univers, toute l'humanité est centrée sur Hadewijch. (Cet égocentrisme est caractéristique pour les processus morbides).
D'autre part on sait que de telles expériences peuvent être vécues en dehors des états schizophréniques. Nous avons trouvé un médecin, dont ni la science, ni l'objectivité ne peuvent être mises en doute, qui a fait l'expérience, même répétée, d'un arrêt du temps. Voici comment il nous a décrit son expérience : "Il m'arrive, mais très rarement, d'avoir l'impression que le présent devient immobile, comme se fixant en dehors du temps. Il n'y a plus de passé, ni de devenir. Il n'y a qu'un moment d'éternité. L'aspect des choses n'a pas changé, mais leur image est comme perçue plus nettement, plus intensément. Il s'en dégage quelque chose de transcendant qui absorbe toute ma conscience, sans en altérer la lucidité, pour ne plus former qu'un seul état : celui de l'absolu, nécessairement figé et éternel. D'être ainsi ravi à soi-même s'accompagne d'une paix profonde. La durée de ces états que je viens de décrire ne dépasse pas deux secondes. Ils surviennent brusquement, sans prodromes; le temps de les voir survenir, de s'en réjouir et c'est fini ! Le temps reprend son cours ordinaire. Il n'en reste que le souvenir précis et un peu ébloui, mais sans aucune influence sur le décours de mon état affectif et comportement ultérieurs. J'ai atteint un âge très avancé et je n'ai jamais souffert de troubles mentaux."
Les vécus que ce sujet vient de décrire sont donc du domaine des processus psychologiques normaux, tout comme le déjà vu et déjà vécu auxquels ils sont sans doute apparentés.
Ces états appartiennent également au domaine de la psychopathologie. On remarquera que le phénomène est analogue à l'aura précédant les grandes crises épileptiques. Signalons également qu'ils peuvent être provoqués expérimentalement chez l'homme psychiquement normal en stimulant électriquement l'écorce temporale au cours d'interventions chirurgicales à cerveau découvert sous anesthésie locale.
Les philologues ont cru que de telles descriptions étaient un pur produit de l'imagination, les psychologues y découvrent les descriptions fidèles d'expériences authentiques. Dans la vision de Joseph, dans le récit de la naissance de Bouddha, dans le témoignage cité, dans les exemples de Jaspers, dans la vision de Hadewijch, il s'agit d'un phénomène toujours décrit avec un parfaite netteté et facilement reconnaissable comme manifestation typique d'un processus mental spécifique. C'est du vécu.(7)
Il est parfaitement improbable qu'un auteur ait purement et simplement imaginé une vision pareille, surtout parce qu'on ne connaît pas de thèmes littéraires qui auraient pu servir de modèle, sauf le récit de la naissance de Bouddha qui, notons-le est beaucoup plus cosmique et qui ne rappelle en rien les descriptions détaillées (brebis, terrine) de la vision de Joseph. (La conclusion doit être que ces deux récits sont indépendants, mais qu'il s'agit de phénomènes analogues). Comment l'auteur de ce passage aurait-il d'ailleurs eu l'idée de s'exprimer brusquement dans la première personne : "Moi, Joseph, ..." sinon parce qu'en écrivant il s'inspirait d'une expérience personnelle exceptionnelle, à moins qu'il s'agisse en même temps d'un phénomène stylistique semblable aux changements de personne dans le livre d'Hénoch. Même si on admet que ce passage pourrait être un "bloc erratique", une pièce rapportée,(8) il manque la preuve qu'on retrouve cette pièce dans un écrit antérieur.
Psychologiquement il s'agit d'un passage symptomatique, tel qu'on le trouve dans la schizophrénie, les états de stimulation du cerveau, ainsi que dans les conditions (hystero)mystiques.(9)
Cette brusque transition de "il" à "moi" paraît donc trouver une explication psychologique, fondée en psychopathologie. Toutefois un seul symptôme est insuffisant pour porter un diagnostic. Ici on doit donc poser la question : trouve-t-on d'autres éléments pathologiques typiques dans le Protévangile de nature à compléter le profil psychologique; la réponse est : oui, et la récolte en est même relativement abondante.
D'abord l'auteur se présente comme l'apôtre Jacques; ce qu'il n'est certainement pas; ensuite il prétend avoir écrit son évangile pendant la période de troubles qui a suivie la mort d'Hérode le Grand (4 av. J.C.), ce qui est certainement complètement faux. Bien entendu, dans cette période les juifs écrivent surtout des pseudo-épigraphes, attribuant leurs écrits à des personnages connus; néanmoins ces déclarations peuvent indiquer une tendance mythomane chez le rédacteur.
Ce qui est plus grave, c'est que tout le récit du Protévangile peut être qualifié "mythe génétique" (naissance de Marie, naissance de Jésus); le mot mythe signifiant un récit de caractère imaginaire.
On doit notamment savoir que souvent le mythe génétique est la forme par laquelle s'exprime une paraphrénie mythomane, entendue dans le sens d'une maladie mentale où la fabulation et l'imagination débordent les symptômes hallucinatoires et où le système de la réalité quotidienne est paradoxalement intègre.(10)
Dans cette maladie la fabuleuse maternité à concours de puissances naturelles et surnaturelles est un thème prépondérant. On ne saurait caractériser mieux le récit du Protévangile que par cette définition reprise d'un manuel de psychiatrie.
A la base du mythe génétique, il y a dans les tendances mythomanes une sorte d'inflation du Moi. (Psychanalytiquement cette inflation est une surcompensation provoquée par le traumatisme humiliant d'être né d'une union sexuelle vulgaire et ressentie comme avilissante. Elle serait due aussi au refoulement sexuel qui en résulte.)
Dans le récit du Protévangile, comme d'ailleurs dans les Evangiles, c'est le trône d'Israël, c'est la royauté qui fournit le motif fondamental au drame et à l'action. Selon les évangiles la succession au trône est promise à Marie par l'ange Gabriel : "Le Seigneur lui donnera le trône de son père David" (Lc 1,32); les mages en arrivant à Jérusalem demandent : "Où est le roi nouveau-né des Juifs ?" (Mt 2,2); Jésus meurt sur la croix portant l'inscription : Roi des Juifs. Or dans le Protévangile ce même motif est très prononcé.
Après la naissance de Jésus "remplie de joie, Salomé s'approche de l'enfant et le prit dans ses bras disant: "Je l'adorerai, car c'est lui qui est né (comme) roi pour Israël". Hérode cherche non seulement Jésus, mais aussi Jean, le fils de Zacharie et Elisabeth, tous deux ayant été cachés par leurs parents. Zacharie est interpellé par les serviteurs d'Hérode : "Où as-tu caché ton fils ?". Il répondit leur disant : "Je suis moi un ministre de Dieu et je demeure constamment dans le temple. Comment puis-je savoir où est mon fils ? " Et ses serviteurs (d'Hérode) partirent et lui rapportèrent tout cela. Et Hérode se mit en colère et dit : "Son fils va-t-il régner sur Israël ?" (XXIII, 1-2). Zacharie est tué alors par les serviteurs d'Hérode le Grand.
Le Moi de la vierge est non seulement exalté par sa propre naissance particulière, mais au surplus par le fait qu'elle est la Mère du futur Roi d'Israël et qu'elle l'est devenue par une série d'interventions surnaturelles.
Dans ce récit le Moi est féminin. Ce qui frappe est la sphère féminine, la sensibilité féminine qui marque le récit : les motifs allégués par les personnages sont la peur, la crainte, le respect humain, le désir d'échapper à l'humiliation (de la stérilité e.a.); les émotions sont décrites abondamment dans le texte (les longues lamentations, les thrènes); la thématique concerne la fécondité, la conception sans intervention masculine, la pureté sexuelle, la virginité, le refoulement sexuel avec la phobie de tout ce qui pourrait souiller. On remarquera le soucis d'Anne (la mère de Marie) à éviter à son enfant dans sa propre maison tout contact avec un sol ou une nourriture profane; à l'âge de trois ans Marie quitte ses parents et va résider dans le lieu consacré par excellence, le saint des saints, et c'est de la main d'un ange qu'elle reçoit désormais sa nourriture.(11)
La virginité in partu est même l'objet d'un miracle spécial : (après la naissance du Christ) "la sage-femme sortit de la grotte, et Salomé la rencontra. Et elle lui dit: 3 "Salomé, Salomé, j'ai à te raconter une merveille inouïe : une vierge a mis au monde, ce dont la nature n'est pas capable et Salomé dit : "(aussi vrai que) vit le Seigneur, mon Dieu, si je ne mets mon doigt et (si) je n'examine sa nature, je ne croirai jamais que la vierge ait enfanté" et la sage-femme entra et dit: " : "Marie, dispose-toi, car ce n'est pas un mince débat qui s'ouvre à ton sujet". Et Marie ayant entendu cela, se disposa. Et Salomé mit son doigt dans sa nature.".
Parce que le Pseudo-Jacques "adapte" certains textes évangéliques à son récit parfois d'une façon originale, on voit dans ce passage une adaptation de l'incrédulité de Thomas (Jn 20, 24-29), dans laquelle il fait reprendre à Salomé, les gestes, les attitudes et les paroles de Thomas.
On échappe difficilement à l'impression que la source de ce récit ne soit une femme. Le rôle masculin cependant ne manque pas : Joachim, Joseph, Zacharie se montrent généreux, pieux, courageux, en complète harmonie paternelle avec le rôle formidable de la femme (la réaction de Joseph est celui d'un tuteur). Le rôle du mari est nettement éliminé par rapport au terminus ad quem : l'engendrement d'un futur roi d'Israel. Le rôle masculin comporte aussi celui de prêtre, responsable d'une certaine ritualisation de la vie quotidienne (la fréquente bénédiction et l'oraison), et autorité à laquelle il revient de donner sa bénédiction et de prendre elle-même toutes les décisions importantes. Le conseil pastoral décide en dernière instance. Ces données sont essentielles, non seulement pour reconstituer le milieu auquel le Protévangile réfère : milieu juif très observant et croyant, pour lequel le Seigneur et les anges sont des données très familières, mais aussi pour juger de la sphère hiérarchique et autoritaire dans laquelle baigne l'action des personnages : on dirait une sphère de traditionalisme rigide, favorable au refoulement. Il est clair que le jour où les contraintes de décence et de tradition sont devenues tellement emprisonnantes pour la sensibilité d'une jeune fille passionnée, ce jour là naîtra le mythe, parce que le mythe est le compromis entre les tendances fondamentales de la fille et les préjugés autoritaires de son milieu.
Le troisième trait fondamental du récit, à part la mythification génétique et l'inflation de Moi, est la présence d'une sphère magique, automatique et surtout l'appel à une foi aveugle et complète. Littéralement rien n'est impossible à ceux qui croient au mythe. (En général le mythomane parvient à se faire croire). Quand Elisabeth s'enfuit avec Jean pour échapper à Hérode, Elisabeth prie que la montagne s'ouvre pour l'abriter. Ce qui se fait sur-le-champ. Salomé, dont la main est brûlée par le contact avec la nature de Marie, est guérie sur-le-champ dès qu'elle prie le Seigneur.
Certains mythomanes disposent d'une rare puissance de conviction en faisant appel à une foi totale, telle la femme mythomane, mise en observation dans un hôpital psychiatrique par les autorités judiciaires qui a pu convaincre l'assistante psychiatrique, d'ailleurs très expérimentée, chargée d'elle, de s'enfuir ensemble. Vers 1970 Lou, le pêcheur d'anguilles, un Néerlandais, a réussi à fonder une église dans la croyance qu'il était l'incarnation de Dieu le Père et que la femme qui cohabitait avec lui était le Saint Esprit. On ne sait qu'on doit croire ses propres oreilles quand on les entend affirmer devant la Télévision néerlandaise que Lou est immortel, qu'il ne mourra jamais (Ce qu'il a fait néanmoins entre-temps). Le fait est qu'un certain nombre de disciples y croient et défendent leur foi. La foi est le fondement sur lequel l'édifice du mythe se construit.
Il faut enfin comparer les traits typiques du Protévangile avec la structure des fables, telles que nous les connaissons par les contes d'Andersen p.ex. Dans le récit du Protévangile il y a les anges, bonnes fées qui sont là pour résoudre les problèmes, elles apparaissent au bon moment, annoncent, protègent; il y a le gros méchant ogre, qui mange les petits enfants (Hérode) et puis il y a les sentiments des personnages : la princesse toute triste au début, toute joyeuse à la fin; il y a, bien entendu, les merveilles, les roches qui s'ouvrent à la simple demande; puis il y a les rois, les princes et enfin le royaume. Tous les éléments du rêve fabulatoire y sont présents. Ce qui semble confirmer l'impression que la source de ces récits pourrait bien être une jeune fille sensible, passablement mythomane.
On serait de plus tenté de retrouver quelques traits hystériques jusque dans le style du Protévangile. Le style du Protévangile est en effet remarquablement terne et uni, pauvre en descriptions, pauvre en particules, la proposition infinitive et le discours indirect y manquent totalement.(12)
Au contraire dans un certain sens le discours direct marque le caractère histrionique du texte : il est tout prêt à être joué sur scène. On pourrait donc reconnaître dans cette langue pauvre et le caractère histrionique de la narration des tendances hystériques, (13) si on ne devait pas tenir compte du fait que le grec n'est probablement pas la langue maternelle de l'auteur ou du rédacteur.
A la lumière de ces données on se demande s'il ne faut pas faire la distinction entre la source primaire du récit et le rédacteur final. Résumons brièvement les arguments : l'analyse du contenu revèle une sphère typiquement féminine, mais du même coup une parfaite connaissance des évangiles et d'autres écrits du Nouveu Testament, telle qu'on la peut retrouver seulement dans un milieu clérical. Les adaptations libres, empruntées aux quatre évangiles, font preuve en même temps d'une grande familiarité de l'auteur avec ces textes. La langue pauvre peut indiquer que le grec n'était pas la langue maternelle de l'auteur; sans doute il était d'origine juive. Si on peut douter de la connaissance personnelle géographique de la Judée et de Jérusalem, néanmoins ces points d'interrogation que la critique moderne a posés, ne sont pas d'un caractère tellement décisif. Même certains détails semblent favoriser l'hypothèse que parfois il s'agit d'éléments plus anciens que les évangiles: p.ex. il est dit que Marie lors de la visite à Elisabeth (XII, 2)) avait oublié les paroles de l'ange Gabriel, comme une jeune fille enceinte, uniquement préoccupée de sa grossesse intempestive, qui a oublié les promesses et les belles paroles de son amant.
Cependant tout ce récit est stylisé et coulé pour ainsi dire dans un moule biblique. On peut y voir à l’œuvre une censure primitive, telle qu'elle a du arranger le texte pour le rendre plus édifiant, plus acceptable à la communauté chrétienne. Nous avons mentionné déjà l'omission de la vision de Joseph par le papyrus de Bodmer, qui omet aussi le passage de l'incrédulité de Salomé, sa punition et sa guérison. Deux passages qui pouvaient étonner le lecteur. Néanmoins il est possible que la censure ait déjà opéré avant que le copiste du papyrus de Bodmer ait fait son oeuvre. Cette censure antérieure a pu harmoniser le récit primaire avec les données éparses des autres écrits néo-testamentaires, si bien que la rédaction ultime paraissait les intégrer toutes dans son texte. A notre avis il y a un problème: le problème de la source ultime de ce récit.
Mais si on admet que l'essentiel de ce récit remonte à la féconde imagination d'une femme à tendance mythomane, on crée par-là même aussi le problème du rédacteur final. Celui-ci, n'est-il peut-être qu'un artiste qui s'est amusé à enjoliver une belle histoire déjà racontée avant lui, comme les romanciers qui ont écrit un certain nombre de récits très divers autour de la naissance du Christ ? Il faut remarquer cependant que le Protévangile a été reçu longtemps et dans diverses églises comme faisant partie de la tradition chrétienne. Il n'a pas été considéré comme une belle légende ou un conte fantastique. Toutefois il n'a pas été accepté par tous non plus, et finalement il n'est pas entré dans le canon. Cette hésitation de la tradition montre clairement que le Protévangile n'était pas considéré comme simple "roman", simple "légende". Il est certain que l'auteur n'a pas eu l'intention de créer de toutes pièces une histoire fantastique; autrement il n'aurait pas repris si fidèlement ses propres sources néo-testamentaires. Le Protévangile a été rédigé parce qu'on croyait retrouver dans le récit des traditions authentiques. Il est certainement une synthèse, dans laquelle on a consciemment "rédigé et composé", utilisant la tradition. Il y a une mise en scène très claire dans le récit, qu'il est difficile de faire remonter à une tradition primitive. Evidemment dans le style historique de l'antiquité on ajoute au récit des discours, qui reflètent parfois imparfaitement les idées authentiques des personnages : (exemple typique: les discours de Périclès rapportés par Thycidide).
Dans le récit du Protévangile évidemment certaines lamentations, les discours des prêtres, etc. sont des éléments du style et du genre littéraire. La mise en scène est donc l’œuvre du rédacteur.
On peut conclure, à cause des données certaines que nous avons découvertes, qu'il y a eu un travail de rédaction, de synthèse littéraire; d'autre part il y a sans doute des symptômes pathologiques relatés par le rédacteur (vision de Joseph); finalement le contenu correspond au syndrome mythomane de type génétique. Il est intéressant de faire remarquer, que nous possédons une rédaction du Protévangile beaucoup plus tardive : le Pseudo-Matthieu. Ce dernier texte, (14) probablement rédigé par un moine dans un but édifiant éclaire le procédé de stylisation et de codage, qui, tout en recopiant l'essentiel de l'histoire, refond le tout en exerçant une censure et en modifiant des détails. Comme l'évangéliste Luc, qui nous a transmis une version abrégée du Protévangile, ces rédacteurs ont fait un choix, ont remodelé le récit primitif. Ils ont pu ajouter certains traits pathologiques comme la vision de Joseph. Néanmoins le contenu original du Protévangile doit être authentique et remonter à une femme à tendance mythomane.

  1. E. De Strijcker, La forme la plus ancienne du Protévangile de Jacques. Bruxelles, 1961, passim.
  2. A. Harnack, Die Chronologie der altchristlichen Literatur bis Eusebius. Leipzig, 1897, I, p. 600-603; cf. De Strijcker, l.c.
  3. Cf. Martin, o.c., p. LXXV.
  4. G. van den Bergh van Eysinga, Indische Einflüsse auf evangelische Erzählungen. G”ttingen, 1909ý, p. 76-78; cf. De Strijcker, o.c; p. 405.
  5. K. Jaspers, Allgemeine Psychopathologie. Berlin, 1948, p. 72.
  6. Cf. H.W.J. Vekeman, Het visioenboek van Hadewijch. Brugge, 1980, p. 62-64.
  7. Le fameux passage de la Bible où Josué commande au soleil implique logiquement un arrêt du soleil et de la lune. Ces vers de la bible sont en fait un citation d'un recueil de chants en l'honneur de héros juifs. On peut donc se demander s'il s'agit ici d'un simple emprunt littéraire ou d'un symptôme mégalomane. Les récits du livre de Josué comportent une bonne dose de merveilleux : les trompettes de Jéricho, l'arrêt des eaux du Jourdain, l'arrêt du soleil et de la lune. Il n'est donc pas impossible que la citation littéraire soit plutôt symptomatique d'une mythomanie grandiose, qui a emprunté ses thèmes à d'autres sources, telles que le livre des Justes, dont nous ne connaissons pas l'origine précise. En outre on remarquera que l'extirpation des ennemis est chaque fois très complète et d'une cruauté glaciale. L'atmosphère est franchement paranoïde : un ordre direct de Dieu, des merveilles magiques, automatiques, une cruauté glaciale calculatrice. Le portrait tel qu'il nous est parvenu est celui d'un paranoïde mégalomane. Il est cependant difficile de déterminer s'il s'agit seulement d'un portrait paranoïde ou si ce portrait est réellement l'image vraie du successeur de Moïse, le grand législateur. Josué se devait de réaliser les idéaux politiques de celui-ci : la conquète d'une terre, qui deviendrait la patrie d'Israel; ce qui mettrait un terme aux migrations dans le désert. Nous considérons donc ce miracle de l'arrêt du soleil comme de la simple mythologie militaire.
  8. Cf. De Strijcker, o.c.,p. 399.
  9. Cf. J. Leuba. Psychologie du mysticisme religieux. Paris, 1925, passim.
  10. H. Ey, P. Bernard et Ch. Brisset, Manuel de Psychiatrie. Paris, 1960, p. 452.
  11. De Strijcker, o.c., p. 402-403.
  12. Ibid., p. 426.
  13. Cf. H. Somers, Analyse statistique du style, Paris, 1962.
  14. Cf. J. Gijsel, Die unmittelbare Textüberlieferung des sog. Pseudo-Matthäus. Brussel 1981.

Dr. Herman H. Somers
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